Les nanoparticules de plastique: "une crise sanitaire mondiale" selon un toxicologue

Radio-Canada
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Les nanoparticules de plastique sont partout, jusque dans nos assiettes. De nombreux scientifiques alertent le public sur les effets nocifs à long terme de certains de ces contaminants sur la santé. Entrevue avec le chercheur français André Cicolella, spécialiste en santé environnementale et en évaluation des risques sanitaires.

Un texte de Sarah Laou

Le chimiste, toxicologue et ancien chercheur à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et à l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) s’est penché pendant plus de 40 ans sur les effets sanitaires des substances chimiques notamment impliquées dans la fabrication des matières plastiques.

Il est actuellement président du Réseau Environnement Santé (RES) et milite afin que gouvernements et municipalités appliquent une stratégie de lutte contre les perturbateurs endocriniens.


Près de 175 composants chimiques sont impliqués dans la fabrication de l’emballage plastique. Que savons-nous vraiment sur leurs effets sur l’organisme?

A. C. : Ce sont certaines de ces substances chimiques utilisées pour assouplir ou solidifier le plastique qui posent le plus de problèmes sur le plan toxicologique. On en retrouve dans des produits de consommation courante et ces composants viennent ensuite contaminer l’environnement sous forme de nanoparticules. Leur utilisation n’est pas encore tout à fait réglementée.

Cette pollution chimique vient majoritairement des textiles et des emballages. Le polycarbonate, par exemple, qui a souvent été utilisé pour fabriquer des biberons, est du bisphénol pur. Les biberons en bisphénol A, qui sont une source toxique identifiée en Europe et au Canada, ne le sont toujours pas dans plusieurs autres pays. Les phtalates (DEHP), tout aussi problématiques, sont aussi présents dans 20 à 40 % des sols fait en plastique PVC. Des sols que l'on retrouve dans des écoles et des garderies.

L'homme parle avec des notes de papier dans ses mains.Agrandir l’image(Nouvelle fenêtre)

André Cicolella lors d'une conférence en 2016

PHOTO : RÉSEAU ENVIRONNEMENT SANTÉ

La particularité de ces substances, c’est que ce sont des perturbateurs endocriniens qui vont agir à long terme sur le système de reproduction, sur les comportements et les hormones thyroïdiennes. L'infertilité qui progresse, l’augmentation des cancers du sein et de la prostate, les troubles du comportement, le diabète, l’obésité ou encore la puberté de plus en plus précoce sont quelques-uns des effets visibles de ces perturbateurs endocriniens, qui ont d’ailleurs été qualifiés par l’OMS de « menace mondiale à laquelle il faut apporter une solution ».

Aujourd’hui, c’est tout l'écosystème qui est contaminé. On retrouve même des phtalates chez les fourmis d’Amazonie... et des nanoparticules dans l'océan arctique.

Le risque n’est pas encore évident à constater, car c’est un risque différé et sur le long terme. Mais la prise de conscience a commencé à se faire.

Le bisphénol A n'est pas utilisé dans la fabrication des plastiques portant les codes de 1 à 6. Selon le gouvernement canadien, la plupart des fabricants de produits allant des bouteilles d'eau aux jouets en passant par les biberons ont cessé d'utiliser du BPA quand des études les ont identifiés comme des perturbateurs endocriniens.

Ce lien entre augmentation des problèmes de reproduction, par exemple, et exposition à ces substances chimiques est-il avéré?

A. C. : Oui, il n’y a pas d’autres explications et toutes les données scientifiques sont là. Des études américaines ont notamment démontré que près de 95 % des adultes avaient des traces de BPA et de DEHP dans l'urine. Environ 90 % de la population mondiale est contaminée par ces nanoparticules. Ces niveaux correspondent aux effets toxiques mesurés chez la souris de laboratoire et observés depuis plusieurs années par les scientifiques.

Dans une ville comme Paris, une autre étude remontant à 1973 avait commencé à noter la diminution de la qualité du sperme chez les hommes. Et ce phénomène continue de s’accentuer. En France, un couple sur cinq est touché par des problèmes liés à la reproduction. Et cette baisse de la fertilité est observée dans tous les pays du monde. Cela affecte aussi la reproduction féminine, comme l'endométriose, les ovaires polykystiques, les fibromes.

L’hyperactivité, l’autisme et les autres maladies métaboliques chez l’enfant sont également plus répandus. Il y a bien sûr d’autres facteurs, mais les perturbateurs endocriniens sont déterminants parce qu’ils agissent dès la grossesse.

Il est démontré qu’une exposition continue pendant cette période sensible impacte le développement du foetus et une programmation va être faite pour l’adulte en devenir.

Doit-on s’alarmer?

A. C. : C’est un problème sérieux, oui. En même temps, j’ai toujours un discours positif, parce qu’à partir du moment où l'on a compris les causes, on peut agir. Mais à condition de s'attaquer sérieusement au problème au niveau international et de ne pas laisser aller.

Comment diminuer ces risques potentiels?

A. C. : Il faut diminuer les sources identifiées comme étant toxiques. En France, on a obtenu l’interdiction des boîtes de conserve avec du bisphénol, mais au Canada, par exemple, ce n’est pas le cas. Le bisphénol est présent à l’intérieur de la plupart des boîtes de conserve. Selon moi, c’est une monstruosité. On sait faire des boîtes sans bisphénol puisqu’on le fait en France.

Le Canada, qui a été le premier pays au monde à interdire le bisphénol A dans les biberons, est actuellement en retard.

Dans les établissements destinés à la petite enfance, il faut absolument remplacer les revêtements afin qu’ils soient sans phtalates et sans PVC.

Aussi, on utilise encore des phtalates dans la fabrication des enveloppes de médicaments, ce n’est pourtant pas compliqué de faire sans et de réglementer pour utiliser d'autres composants. On utilise des phtalates encore dans les parfums, c'est interdit, mais dans les faits, ce n’est pas appliqué. Ce sont quelques mesures simples pour éliminer une partie de la contamination à ces substances chimiques.

Pas d’action sans données probantes, dit Santé Canada

Dans un échange de courriels, Santé Canada écrit que le gouvernement canadien est « conscient que des nanoparticules ont été utilisées dans des produits de consommation, notamment dans les plastiques. » Santé Canada ajoute que ses chercheurs continuent d’examiner les nouvelles données scientifiques associées aux nanomatériaux, tout en affirmant qu’ils ne disposent « pas de données suffisantes en ce moment pour conclure que les applications où des nanomatériaux sont incorporés ou utilisés dans des plastiques, avec ou sans plastifiants comme le bisphénol A et les phtalates, ont une incidence sur la santé humaine. »

Qu’en est-il de la toxicité de certains plastiques recyclés?

A. C. : En effet, quand vous recyclez du carton par exemple, vous recyclez aussi du bisphénol et des phtalates et vous contaminez la nourriture stockée dans ces boîtes en carton. On se sent vertueux de reprendre des cartons recyclés, mais ils peuvent contenir des substances toxiques. C’est pourquoi il faut regarder le problème dans toute sa dimension et utiliser de façon systématique des barrières pour éviter ces contaminants et faire en sorte que ces produits chimiques ne se retrouvent pas dans l’environnement.

Les États sont-ils assez mobilisés?

A. C.: Il faut mettre un nom sur cette crise sanitaire mondiale et s'attaquer de front au problème des nanoparticules. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) parle de défi mondial d’ampleur épidémique au sujet de l’augmentation des maladies chroniques, mais elle doit aller plus loin. Il faut arrêter cette politique qui décide de signer des déclarations ambitieuses et ne met rien en oeuvre. S’il y a une volonté des institutions, les fabricants s’aligneront. Et je suis convaincu que les municipalités vont agir sans attendre que les gouvernements respectifs veuillent bien se mettre d’accord.

Les industries du plastique en font-elles assez?

A. C.: L’industrie chimique continue de financer des études pour faire croire qu’il y a un débat scientifique sur le sujet. À partir du moment où vous avez une évidence scientifique avec des milliers d’études qui vont dans le même sens, il n’y a plus de doute possible. La chimie doit changer son modèle. Les bioprocédés sont ainsi très intéressants. Mais si on y met des additifs, des pesticides ou des ultraviolets, cela ne servira à rien. Il faut donc repenser les techniques.

La chimie est le problème, mais aussi la solution.

Doit-on éradiquer le plastique?

A. C.: On a fait du « tout en plastique »..., il faudrait désormais revenir à un juste équilibre ou en sortir. Il y a toute une refondation de l’activité économique à faire autour de cet enjeu de protection de la santé humaine et de l’écosystème. Il s’agit de la quatrième crise écologique conséquence de l’activité humaine. La transition écologique ne pourra pas se faire sans intégrer la dimension santé. On sait faire autrement donc pourquoi ne le fait-on pas?

Source:

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1117496/nanoparticules-plastiques-crise-sanitaire-mondiale-toxicologue-cicolella-sante-publique?fbclid=IwAR3OKAfWtNuFAK5D8dt2YLN0KU0yGQrNgDcO8HoEKVkzrY9HUaO6PLsC06A